L' ère de la Médiocrité.
« C’était mieux avant ! »… Qui n’a pas récemment entendu cette réminiscence persistante ? Cet éloge d’un passé, qui serait le plus que parfait d’un présent dans lequel, les esprits tourmentés tentent de se rassurer. Notre société, notre monde, nous-mêmes, sommes-nous devenus plus médiocres au fil du temps ?
Mais qu’est-ce que la médiocrité ? Son sens même a été détourné au fur et à mesure de ses utilisations. Aujourd’hui, pour beaucoup, elle est le symbole de ce qui se fait de pire, de plus mauvais. Mais le sens réel de la médiocrité est « ce qui est moyen ». Et redonner à ce mot son sens premier, est de toute importance pour comprendre comment la médiocrité a été institutionnalisée, immiscée dans toutes les sphères de la société, jusqu’aux interactions humaines mêmes et à notre condition propre, individuelle et collectives.
Comme il é été rappelé précédemment, être médiocre, c’est donc être moyen. Et il n’y a rien de péjoratif à cela. Ce n’est même pas totalement négatif, puisque par bons nombres d’aspects, nous sommes tous médiocres en quelque chose. Nous sommes tous, même, le médiocre de quelqu’un puisque, heureusement, nous sommes singuliers dans nos différences. Mais à quel moment ce système, cette médiocratie a-t-elle normalisé et globalisé cette médiocrité ?
Alors que durant toute l’histoire de l’humanité, ceux qui nous ont précédé tendaient vers le mieux, le meilleur. Cet objectif qui a permis à l’humain de se dépasser, de repousser des limites physiques, temporelles et même d’assouvir en partie nos fantasmes Prométhéens* (*qui dépasse notre condition humaine et qui se retourne contre nous) de destruction ou de conquête de nouveaux territoires, y compris au-delà des limites extra-atmosphériques de notre si infime, mais si précieux monde.
Cette médiocrité s’inscrit donc dans une perte de créativité organisée, pour limiter les initiatives individuelles et ne pas remettre en cause le système. Cette généralisation, normalisation dans le sens standardisation du « moyen », a servi à remplacer la politique par la gouvernance. Elle a servi à substituer la démocratie par la gestion verticale d’un groupe restreint, d’une caste. Et c’est par le management d’entreprise que cette gouvernance est née. La fameuse Start-up Nation. Dans un sursaut de lucidité qui lui a manqué cruellement durant ses deux mandats, François Mitterrand avait prédit qu’il serait « le dernier grand président » et que lui succèderont « des comptables et des financiers ». Faisons preuve tout de même d’honnêteté intellectuelle et conférons à Jacques Chirac le titre de « relais ». Lui qui a propulsé, après trahison et avec regret, Nicolas Sarkozy sur le devant de la scène nationale.
Ce management d’état c’est donc imposé comme référence théorique allant jusqu’à emprunter les mots de l’entreprise et ses codes. Comme ces injonctions à la positivité, à se persuader que tout est possible. Tel le mythe du Self Made Men, effaçant d’un trait de mépris la réalité des luttes de classes où des discriminations liées à l’origine, l’orientation sexuelle où même le lieu de résidence. Le libéralisme de gouvernance réécrit son propre scénario, créant un monde parallèle où règne une légitimité indiscutable. Il impose une vision dans laquelle tout est interchangeable, les concepts comme les êtres tant que cela n’altère pas la matrice. Il se nourrit de la déshumanisation et inverse la charge de responsabilité. Dans ce monde le travail avili ; il n’épanouit plus ; même quand il est une vocation, il devient sacerdoce. Tout le monde a entendu parler des « Bullshit jobs » (traduction. Emploi à la con), théorisé par l’anthropologue américain David Graeber (1961-2020). Ces métiers qui reposent sur l’aliénation, par l’exécution de tâches inutiles et sans réels intérêts pour la société, mais qui permettent malgré tout de maintenir l’emploi dans des pays comme le nôtre, complètement désindustrialisés et qui ne survivent essentiellement que par la consommation populaire (54% du PIB en France). Comment expliquer aujourd’hui que dans les hôpitaux publics il y ait plus de personnel administratif que de soignants ?
Ce système avili et dégrade le rôle de citoyen en le transformant en consommateur. Il éloigne de la politique et du lien social en altérant ses comportements. Les dimanches en famille, entre amis, les balades en forêt ou les sorties culturelles ont été remplacés par le shopping dominical, dans les allées froides de magasins de meubles suédois où de grandes enseignes de bricolages. Et bien souvent, quand bien même les rassemblements physiques s’organisent, en lieu et place des discussions sommes toutes banales ou trop animées, chacun se transforme en Alice, le nez dans son « Pays des Merveilles », à « scroller* » (*action de faire défiler les contenus sur un écran), numériser une vie artificielle, où même son reflet est altéré. Que le retour à la réalité est impitoyable, lorsque nous ne nous regardons plus par le prisme de ce nouveau miroir aux alouettes. Tous nos nouveaux comportements, fabriqués avec machiavélisme, sont enclins à la dystopie, à la schizophrénie. Il faut faire naître chez les gens, ce sentiment d’anxiété qui déstabilise et empêche de penser.
Ces mécanismes de médiocraties, ont bien entendu été introduits dans l’éducation pour formater le plus tôt possible. D’abord dans les universités par le traité de Bologne en 1999, un processus de convergence des systèmes d’enseignements supérieurs des pays européens, qui avait pour but d’harmoniser les diplômes entre pays et faciliter les échanges, que ce soit entre nations où avec des entités privées. A partir de ce moment-là, les cours n’ont plus été enseignés selon les besoins des étudiants, mais selon les budgets alloués aux partenariats inter-universitaires et surtout par rapport aux entreprises qui contribuaient à ces budgets. L’enseignement a donc muté pour coller davantage aux besoins des entreprises. L’étudiant change alors de statut par conditionnement et passe d’humain hautement éduqué, à marchandise, formatée, répondant aux besoins du marché du travail.
Ce fonctionnement de médiocratie a ensuite été prolongé à l’école. D’abord en rabotant perpétuellement le nombre d’enseignants, augmentant ainsi le nombre d’élèves par classes et globalisant l’éducation, ce qui rend impossible l’adaptation des cours selon les besoins de chacun. Ensuite pour pallier au manque de professeurs, leur formation a été attaquée sous Nicolas Sarkozy en 2012, lançant dans l’arène directement des enseignants certes mieux diplômés (Bac+5), pas mieux rémunérés, mais sans la période d’accompagnement à la pédagogie et bien souvent dans des établissements dit compliqués (ZEP). Si l’on veut comprendre tout cela il faut remonter quelques années en arrière.
En 1996, l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) sort son cahier numéro 13 intitulé « La Faisabilité politique de l’ajustement ». Pas de grandes explications, les extraits parlent d’eux-mêmes :
« Les mesures de stabilisation peu dangereuses.
Après cette description des mesures risquées, on peut, à l’inverse, recommander de nombreuses mesures qui ne créent aucune difficulté politique. Pour réduire le déficit budgétaire, une réduction très importante des investissements publics ou une diminution des dépenses de fonctionnement ne comportent pas de risque politique. Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population. »
Un peu plus loin vous pourrez lire :
« Si le rôle des pouvoirs publics n’est pas méconnu, il se limite à assurer l’accès à l’apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l’exclusion de la société en général s’accentuera à mesure que d’autres vont continuer de progresser » […] « L’apprentissage à vie ne saurait se fonder sur la présence permanente d’enseignants mais doit être assuré par des prestataires de services éducatifs,[…] » les enseignants qui subsisteront s’occuperont donc de la population non rentable.
Et enfin la Commission Européenne conclue :
« … pour environ 25% de la population scolaire l’enseignement apporte une formation trop faible, mais bien trop importante pour 40 à 50% de ceux qui en bénéficient. »
c.f « Dans la Gueule du Loup » #2 – Le Médias – « LES MINISTRES PASSENT, L’ÉDUCATION TRÉPASSE »
En quelque sorte l’industrialisation de la médiocrité. La médiocratie c’est la standardisation globalisée de la médiocrité à tous les niveaux de la société. Mais pour l’imposer et la répandre comme un venin, il faut un pouvoir qui puisse l’appliquer. Et ce pouvoir a commencé à poindre avec Nicolas Sarkozy ; poursuivi sa gestation sous Hollande ; prit vie avec Macron. Une filiation qui peut paraître contre nature, mais qui avec le recul, ne pouvait amener qu’à cette conclusion en trois étapes :
La sainte tri-médiocrité : Sarkozy >>> Hollande >>>Macron
Extrême droitisation du débat public >>> Usurpation politique de Gauche >>> Avènement de l’Extrême Centre.
L’extrême centre a été théorisé en 2005 par Pierre Serna (1963-…) historien français, pour qualifier le mode de gouvernance post révolutionnaire entre le Consulat (1795-1799) et la Restauration (1815-1830), plus précisément la période 1814-1820. Cette idéologie politique consiste à l’époque à trouver une alternative idéologique à la Révolution de 1789 et sa Contre-Révolution. De nos jours l’Extrême Centre ne sert plus à se positionner sur un échiquier politique bipartite Gauche/Droite, mais à les supprimer pour annihiler toutes références à quelques pensées philosophiques ou politiques que ce soit, dans le seul but de se présenter comme la seule alternative possible. Sa doctrine passe tout d’abord par le dévoiement des mots. Pour manipuler et perdre ceux qui les écoutent, vider les mots de leurs sens est primordial. Comme l’écrit Georges Orwell (1903-1950) dans son récit dystopique « 1984 » « …cette langue doit favoriser la parole officielle et empêcher l’expression de pensées critiques. ».
Ces premières traces « officielles » de novlangue ou « néoparlé »selon certains traducteurs de l’œuvre, sont apparue en 1987 lors de la publication du « Rapport du Club de Rome » ou « Rapport Meadows » du nom de ses principaux auteurs, les écologues Donella (1941-2001) et Dennis Meadows (1942-…). Ce rapport est « une des références des débats et critiques qui portent sur les liens entre conséquences écologiques de la croissance économique, limitation des ressources et évolution démographique ». Et c’est à ce moment la que les industriels voyant d’un mauvais œil l’arrivée de ce rapport remettant en cause le fonctionnement de leurs propres sociétés, qu’ils inventèrent le terme « Développement Durable ». Un terme fourre-tout, qui ne signifie rien de précis mais sous-entend une volonté positive. De nos jours, les termes se sont démultipliés : la guerre c’est la paix ; l’antifascisme est un fascisme ; la dénonciation d’un génocide c’est de l’antisémitisme …
En réalité sous cette positivité de façade ou le détournement du sens des choses, se cache une idéologie autoritaire, violente, écocide, inégalitaire et privative, aussi bien des libertés que des richesses, des matières premières et des moyens de productions. Mais pour subsister et avoir de l’écho au sein des populations sur l’ensemble gigantesque des territoires il faut des canaux de diffusions de l’information officielle.
Dans notre monde, notre univers, où l’information est comme toute chose, assujettie à l’entropie (déperdition d’énergie due à la désorganisation et au désordre jusqu’à sa disparition totale ; théorisée par Erwin Schrödinger 1887-1961), l’humain a mis en place des mécanismes de détournement du temps qui permettent de retarder l’entropie. Comme l’expliquait le regretté et inspirant Bernard Stiegler (1952-2020 : à la suite d’une série de braquages à mains armées qui le conduisit en prison, Bernard Stiegler entrepris des études de philosophie durant son incarcération. Il devint un des philosophes les plus renommés de sa génération) l’humain à mis en place des bifurcations chronologiques dans la chaîne temporelle grâce à des exosomatismes (outils, médicament, informatique etc…) dans le seul but d’entraver la déperdition de l’information et de l’énergie en général. Quoi de plus efficace donc, que de mettre à disposition, que ce soit au domicile de la population où directement sur eux par le biais des smartphones, des chaînes et des applications d’informations en continues. Non seulement l’information ne se perd plus mais elle est inoculée selon les besoins et le traitement qu’ils en font.
Le seul problème de ce type de fonctionnement « perpétuel » c’est qu’il faut sans cesse nourrir la bête pour qu’elle puisse se faire entendre. C’est comme cela que nous assistons non plus à un simple traitement de l’information et sa diffusion mais, implacablement, à sa création et son utilisation à des fins non plus informatives mais manipulatoires. Le dernier exemple en date prouvé lors du « Complément d’Enquête » sur France 2 le 21 novembre 2024 intitulé « La guerre de l’info sur les bancs de l’école », qui démontre comment des reportages clairement islamophobes et racistes sont fabriqués de toutes pièces sur du vide et des mensonges. La répétition de l’information à longueur de journée finit par imprimer. Si par-dessus tout cela, vous en appelez aux instincts les plus les bas ett primaires (la peur, l’insécurité, l’anxiété, la phobie, le racisme…), sans en appeler à l’intelligence et la réflexion, alors vous avez des séances d’hypnoses de masses, parfaites, à distance.
Pour preuve, en se reposant sur le travail titanesque de Thomas Piketty (1971-…) et Julia Cagé (1984-…) « Une histoire du conflit politique –Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022 » qui analyse 233 ans de votes en France, on peut s’apercevoir que les endroits qui votent massivement pour le Rassemblement National et l’Extrême Droite en général, sont les territoires les moins touchés par l’immigration et l’insécurité.
Dans cette entreprise de « médiocratisation », l’extrême droitisation des débats que l’on a vu émerger sous Sarkozy d’abord ministre de l’intérieur (le Karcher), puis en tant que Président avec Le Ministère de L’Identité Nationale (comme si être français ne suffisait plus), nous avons vu poindre des figures de l’extrême droite comme Patrick Buisson au sommet de l’Etat. Tout cela s’est poursuivi sous François Hollande, avec le projet de loi sur la Déchéance de Nationalité dont on se demande encore aujourd’hui comment il a pu naître sous un mandat soi-disant « de Gauche », avec un Gouvernement soi-disant « de Gauche ». Enfin, Emmanuel Macron ne dérogeant pas à la règle, tante une réhabilitation hasardeuse de Pétain (seul chef d’Etat de l’histoire de France à avoir été frappé du sceau de l’indignité nationale), utilise l’expression « pays légal – pays réel » de Charles Maurras (1868-1952), écrivain d’extrême droite antisémite. Et une partie de la macronie intègre le Rassemblement National (parti créé par d’anciens nazis et Waffen SS) dans l’Arc Républicain tout en excluant la France Insoumise.
Cette Extrême Centre se matérialise également sous la forme de « partis de gauche » qui sont en réalité la gauche de la droite. C’est ce que la novlangue appelle communément « Partis de Gouvernement » restreignant une nouvelle fois le choix en créant une fausse alternative. Dans notre paysage politique actuel il s’agit pour le nommer du Parti Socialiste, gangréné par la soumission au capitalisme et aux intérêts privés, qui permettent un confortable pantouflage* (*faire des allers retours entre privé et public) et l’assurance de conserver des postes de pouvoirs grassement rémunérés par les contribuables. Une professionnalisation de la vie politique qui prive le peuple d’une réelle démocratie.
Cette privation de choix, ces illusions d’alternatives, car d’un coté comme de l’autre des politiques libérales « démocides » seront menées, pourrait s’apparenter à une forme de totalitarisme. Hanna Arendt (1906-1975) politologue allemande rescapée du régime nazi, dont le travail reconnu sur le fonctionnement du Totalitarisme fait autorité, décèle (entre autres) deux piliers importants sur lesquels repose une doctrine totalitaire. Elle écrit :
« Pour s’implanter, le Totalitarisme a besoin d’individus isolés et déculturés, déracinés des rapports sociaux organiques, atomisés socialement et poussés à un égoïsme extrême. »
Puis :
« Dès lors que nous n’avons plus de presse libre, tout peut arriver. Ce qui permet à une dictature totalitaire ou à toute autre dictature de régner, c’est que les gens ne sont pas informés ; comment pouvez-vous avoir une opinion si vous n’êtes pas informé ? Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien.
C’est parce que les mensonges, de par leur nature même, doivent être modifiés, et donc un gouvernement menteur doit constamment réécrire sa propre histoire. En tant que citoyen, vous ne recevez pas seulement un mensonge – que vous pourriez continuer à croire pendant le reste de vos jours – mais vous en recevez un grand nombre, selon la façon dont le vent politique souffle.
Et un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et l’on peut faire ce que l’on veut d’un tel peuple. »
Saisissant parallèle avec nos sociétés actuelles. Car si bien entendu, nous ne vivons pas dans une société totalitaire stricte comme ont pu l’être les pires régimes de l’Histoire tels le nazisme Hitlérien, le Stalinisme ou le Maoïsme, Alain Deneault (1970-…) philosophe québécois, parle lui, de « Totalitarisme pervers ». Il s’agit d’un totalitarisme tellement diffue dans toutes les strates de la société « qu’il est presque impossible à décapiter ». Pour illustrer ses propos, il prend le décès en 2014 du n°1 de Total, Christophe de Margerie, suite à un accident d’avion en Russie et dont la mort n’a eu presque aucune incidence sur le fonctionnement d’une entreprise aussi gigantesque. Cela pose un questionnement sur la « souveraineté » : mais qui commande réellement ?
Et cela remet en cause la démocratie même, qui n’est alors plus un régime appliqué dans le réel mais simplement un principe. Démocratie (Demos => Peuple / Cratos=> le Pouvoir). Selon Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) dans son ouvrage « Le contrat social » qui a tant inspiré Maximilien de Robespierre (1758-1794), la démocratie est synonyme d’autonomie. C’est la capacité d’un peuple à s’appliquer soi-même (Auto) la loi (Nomos). Dans nos sociétés, nous élisons des personnes qui sont davantage à la conquête d’un pouvoir mais qui in fine, ne le rende pas au peuple. Si nous vivions dans une démocratie réelle, les élus seraient tirés au sort, sans distinctions. Pour des mandats cours et uniques qui n’engendreraient pas une professionnalisation de la vie politique. Ces illusions démocratiques se manifestent ponctuellement lors d’élections ou par toutes autres procédures de consultations directes.
Aldous Huxley (1894-1963) écrivain britannique, homologue de Georges Orwell, écrivait dans son œuvre dystopique « Le meilleur des mondes » en 1932 :
« La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader. Un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude … »
Prenons deux exemples probants.
Le référendum sur l’Europe en 2005, où le « NON » est arrivé en tête avec 54,68 % des suffrages exprimés. Résultat : un nouveau traité (Traité de Lisbonne) similaire a été voté en 2007 directement par les Conseils Européens sans consultation populaire ! L’avis du peuple ne compte que lorsqu’il répond aux attentes de la gouvernance.
Autre exemple : La Convention Citoyenne pour Le Climat lancée par Emmanuel Macron en 2019, tire au sort des citoyens pour être force de propositions sur les perspectives et les trajectoires à mettre en place pour contrer et limiter les effets du dérèglement climatique.
Résultat : des propositions ambitieuses et concrètes… qui ont été mises au placard !
La médiocratie ne supporte pas le trop plein de démocratie.
En éloignant le peuple des décisions, en faisant preuve de « négationnisme » face aux espoirs de la population, la gouvernance déresponsabilise. D’une part les populations, dégoutées et désintéressées de la politique, qui pensent que cela ne peut rien changer et d’autre part les politiques eux-mêmes qui déclinent toutes responsabilités liées aux conséquences directes de leurs choix. Récemment nous avons pu assister aux auditions de Bruno Le Maire, ancien ministre de l’Economie, sous la responsabilité duquel l’Etat s’est vu creuser un déficit historique de 60 milliards pour l’année 2023. Devant les rapporteurs de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, il fît preuve d’une telle mauvaise foi, que nous aurions pu penser, qu’il ne fut jamais aux responsabilités !
Exactement comme l’ensemble de la Macronie qui, se désolant et critiquant l’état actuel du pays, se soustrait complètement au fait qu’ils sont au pouvoir depuis 7 ans (sans compter la période durant laquelle Emmanuel Macron fut Ministre de L’Economie de François Hollande de 2014 à 2016).
Nous assistons aux mêmes procédés d’un point de vue macroéconomique. Au sein même des entreprises de toutes tailles, les responsabilités sont à géométries variables selon les conséquences positives ou négatives de la mise en place des politiques. Quand on demande aux salariés pour les motiver, d’être innovants, créatifs, de faire preuve d’initiatives mais qui sont en fait bercés d’illusions, car tout est balisé pour niveler vers le bas. Et faire que le pouvoir et les richesses financières ou matérielles ainsi que les réelles capacités de décisions, restent toujours au sein d’une même classe.
Alain Deneault, établit une typologie du médiocre intéressante et assez complète dans laquelle chacun d’entre nous peut se reconnaître en continue ou par alternance. Il décèle cinq types de médiocres :
- Le Médiocre cassé : il est conscient du système dans lequel il évolue, le rejette et vivote grâce à lui mais il ne croit plus en rien.
- Le Médiocre zélé : c’est le calculateur, l’opportuniste, pour qui tout est stratégie. Il n’a aucune conviction, aucun principe. Ses positions changent selon ses intérêts. En général il monte rapidement les échelons ou vit au dépend des autres.
- Le Médiocre malgré lui : c’est le héros du quotidien, celui qui croit qu’il va changer les choses de l’intérieur, qui tente de sortir du chemin balisé, mais qui perd toujours à la fin.
Histoire vraie, de ce professeur qui met le manuel scolaire à la poubelle, fabrique son propre programme, voit ses élèves sortir avec les meilleurs résultats de l’établissement mais à la fin se fait licencier, parce qu’il n’a pas respecté les règles.
- Le Médiocre résistant : il comprend le système, s’oppose, lui dit non, en sort et se retrouve à la marge de la société. Il ne parvient plus à s’intégrer, devient pariât et plonge dans la solitude parce qu’il dérange.
- Le Médiocre par défaut : lui c’est le bon élève, il suit les règles, ne critique rien, se satisfait et s’accommode de tout, parce qu’il y a toujours pire que lui. Il est dépourvu de convictions profondes, de sens critique. Il vote par tradition familiale, il n’a rien à redire quand on lui ampute ses revenus ou qu’on lui augmente ses impôts. C’est le médiocre du Statu Quo.
Note personnelle : De loin le plus nuisible pour la démocratie et sans doute le plus rependu.
Etablir un tel constat, alors que nous sommes rentrés dans l’ère de l’incertitude irrationnelle à laquelle même la Science ne peut plus répondre, reste vertigineux. Et face à ces enjeux climatiques, à ce moment eschatologiques (qui concerne l’étude des fins dernières de l’homme et du monde) de l’anthropocène (époque géologique qui se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre), la médiocratie se contente du peu. Elle repeint en vert des comportements ou des biens qui n’ont rien d’écologiques. C’est ce que l’on appelle communément le Green Washing ou Verdissage. Le médiocre est satisfait quand son fast-food préféré utilise des couverts réutilisables et que son SUV dernier cri, roule à l’électrique. Et la médiocratie fait tout pour lui faire croire.
Il faut bien comprendre que la situation que nous vivons actuellement est inédite depuis 10 000 ans, qui fut la dernière période de dérèglement climatique « naturel » contrairement à celui que nous vivons et qui est directement lié à l’activité humaine. Bien plus grave encore, nous connaissons aujourd’hui la plus grande extinction de masse du vivant depuis l’extinction des dinosaures il y a 66 millions d’années (60% des espèces ont disparu en à peine 40 ans). Cette situation nous ramène une nouvelle fois à un mécanisme d’anxiété. C’est ce qu’on appelle l’Ecoanxiété, qui est par ailleurs un signe de bonne santé mentale. L’humanité a survécu essentiellement grâce à la peur qui l’a averti des dangers. Et bien plus dangereux pour l’humain que le dérèglement climatique, c’est l’extinction de la biodiversité accouplée à des phénomènes météorologiques plus fréquents et intenses.
Face à cette situation inédite, la gouvernance vous offre deux alternatives :
- La soumission chimique médicamenteuse pour pallier votre anxiété.
- La consommation, qui vous soulagera ponctuellement mais creusera un peu plus notre tombe à cause des effets polluants des moyens de productions et de transports des biens et services.
N.B : 60 super-conteneurs, qui sont les immenses cargos qui transportent les produits depuis l’autre bout du monde, polluent autant que l’ensemble du parc automobile mondial.
Au total ce sont 600 super-conteneurs qui naviguent actuellement sur nos mers et océans.
Cette incitation à la consommation et mise en place pour créer un sentiment d’abondance infinie, complètement artificiel.
Comme évoqué plus haut, l’entropie est la dissipation de l’énergie jusqu’à sa disparition totale. Jusqu’à ce qu’il n’en reste strictement rien. Cependant, l’humanité et en son sein le capitalisme, se sont longtemps reposés sur le principe de l’épistémologie newtonienne qui est un courant scientifique, dont un de ses plus célèbre représentant est Antoine Lavoisier (1743-1794) dont la célèbre citation, certes apocryphe (d’origine douteuse), se résumait ainsi :
« Rien ne se perd ; Rien ne se crée ; Tout se transforme ! »
Or, des choses se perdent. Définitivement.
Et dans cette situation globale, à laquelle personne ne peut échapper, quels que soient ses moyens, pourquoi la gouvernance ne propose-t-elle donc pas de solutions alors qu’elle est elle-même en danger ?
Sans doute parce qu’à force de rendre médiocres les autres, d’institutionnaliser cette religion du « moyen », la gouvernance est devenue médiocre elle-même. Incapable de se penser et de se repenser. Elle s’est autoconvaincue en s’isolant du reste de la société, qu’il n’y avait aucune autre alternative. Elle n’a donc pas d’autre destin que d’entraîner avec elle dans la mort, l’ensemble de ce qu’elle administre. Ce naufrage sera lent, douloureux, violent.
Une autre chose que la médiocratie sait parfaitement, c’est qu’elle ne pourra pas venir en aide à ses administrés. Elle assistera, impuissante, aux dommages qu’elle a créés. C’est exactement ce dont nous avons été les témoins récemment, lors des inondations en Espagne, dans la région de Valence, où les pouvoirs publics, dépassés par les évènements, incapables de prévoir et d’anticiper les catastrophes météorologiques, ont laissé mourir des centaines de victimes. D’ailleurs, les grands intérêts privés n’ont pas bougé le petit doigt non plus.
Et c’est la que peut-être se trouve le début d’une piste, pour recréer un lien par-delà les opinions diverses. Ne faudrait-il pas décorréler la science de la politique pour nous retrouver autour d’un socle commun : notre survie ? La politique deviendrait alors l’outil, qui certainement devra se décentraliser pour revenir à des territoires plus restreints comme les régions. Il est impératif de revenir au sens des choses. L’avenir appartient à ces métiers, avec des savoir faire ancestraux et des connaissances profondes des choses. Un retour à l’artisanal sans pour autant annihiler les avantages technologiques dont nous bénéficions. Mais les mettre à notre service et pas l’inverse.
Pour terminer, je reprendrais cet extrait de l’œuvre de Marc Bloch (1886-1944) « L’Etrange défaite » écrit en 1940 et qui tente de comprendre et d’analyser les raisons de la défaite française lors de La bataille de France, qui désigne l’invasion des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg et de la France, par les forces du Troisième Reich, pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Nous savions tout cela. Et pourtant, paresseusement, lâchement, nous avons laissé faire. Nous avons craint le heurt de la foule, les sarcasmes de nos amis, l’incompréhensif mépris de nos maîtres. Nous n’avons pas osé être, sur la place publique, la voix qui crie, d’abord dans le désert. Nous avons préféré nous confiner dans la craintive quiétude de nos ateliers. Puissent nos cadets nous pardonner le sang qui est sur nos mains ! »
A méditer.
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