Symphonie Républicaine n°5 : le crépuscule de l'homme providentiel.
Qu'on se le dise: je n'écris pas pour faire plaisir, ni pour rassurer. Me vient à l'esprit cette citation emplie de résilience de l'historien spécialiste de l'histoire du nazisme Christian INGRAO: " Ne demandez pas qui nous sommes, ni d'où nous venons; nous sommes la cohorte de ceux qui fixent sans ciller le soleil noir du paroxysme.", ce à quoi BERNANOS aurait pu rétorquer "Je ne crois que ce qui me coûte". Autrement dit, il est temps plus que de nécessaire de faire preuve de résilience et de regarder la situation actuelle en face. Sans détourner le regard. Sans se parer de faux semblants.
La Vème République arrive au bout d'un chemin qui fût tour à tour synonyme de reconstruction, d'espoirs, de trahisons et pour finir de désillusions. Epigone d'une IVème instable au possible, victime de combines politiciennes, d'impuissance parlementaire, fille légitime de la Guerre d'Algérie, la Vème République fût surtout pour De Gaulle, héros de la Seconde Guerre Mondiale, figure paternelle quasi divine de l'époque, l'occasion d'inscrire définitivement son nom au Panthéon de l'Histoire, à défaut de reposer dans celui qui fût appelé sous la Deuxième République "Temple de L'humanité" (le Général refusa de son vivant d'être enterré autre part qu'à Colombey-Les -Deux-Eglises). Cette Vème République, créée sur mesure pour la figure de l'homme providentiel, tire directement son modèle de la République allemande de Weimar. Celle la même qui vit l'institutionnel prendre le pas sur le constitutionnel en la personne du vieux président Hindenburg usant et abusant, entre autres, de l'article 48, ancêtre de notre 49.3, comptant sur une herméneutique (interprétation) contestable de la validité constitutionnelle de ses actes et qui finit par donner le pouvoir à Hitler sur conseil de son libéral ex-chancelier Von Papen et du patronat de l'époque, qui préféreront voir les nazis aux responsabilités (NSDAP) plutôt qu'une coalition socialo-communiste (SPD-KPD). Nous comprenons donc mieux que cette outil institutionnel n'est pas à mettre entre les mains de n'importe qui. L'effet miroir que provoque cet épisode de l'histoire avec notre actualité trouble par certaines similitudes avec notre actualité. Emmanuel Macron préfèrera t'il dissoudre une nouvelle fois l'Assemblée National quitte à ce que le RN remporte l'élection, plutôt que de nommer un 1er Ministre issus du NFP, coalition gagnante des législatives 2024? Verdict dans quelques jours.
Malgré cela, sans les considérer comme irréprochables tant nombre d'affaires ont éclaboussé leurs mandats, De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand ou même Chirac avaient une certaine idée de l'Etat et de ce que devait être un Chef D'Etat. Le statut de Président de la République ou même l'endossement de responsabilités gouvernementales, avaient pour habitude de voir la fonction "dévorer" les individus. Tendance qui se renversa avec l'arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir en 2007 puis de Macron. Qui peut imaginer De Gaulle ou Mitterrand fêter sa victoire sur le yacht d'un milliardaire d'extrême droite mania de la presse ou dans un restaurant 3 étoiles? Dans un autre registre qui peut prétendre, avec l'importance des responsabilités et des taches qui lui incombent, s'auto nommer comme l'indigent François Hollande le fît, "Président Normal"? Le temps et les trahisons ne sont pas seules responsables de la déconsidération des fonctions étatiques et de notre système institutionnel. La médiocrité des politiques y est aussi pour beaucoup.
Macron ne déroge pas au constat. Il a pour handicap d'hériter aussi des turpitudes de ceux qui l'ont précédé... et d'en avoir créé de nouvelles. Le double hold-up qu'il a réalisé en remportant deux présidentielles consécutives sans jamais faire réellement campagne, en dit long sur la dystopie, orwellienne ou huxleyenne, au choix, dans laquelle nous évoluons. Entre "1984" et "Le Meilleur des Mondes" mon cœur balance. Le spectacle affligeant auquel nous assistons aujourd'hui n'est que la transposition de ce déclin. Lui, qui avait pour ambitions de dépasser le clivage Gauche-Droite, a fait mieux en exposant le négatif d'une photographie obsolète de l'échiquier politique. En Grec Ancien, la "vérité" se dit "Alètheia". C'est Martin Heidegger, philosophe allemand qui au début du XXème siècle a donné une nouvelle approche à ce concept d'alètheia. En effet, il y a intégré la notion de dévoilement. La vérité à son regard, est donc quelque chose de dévoilé, une "réalité" par opposition à "une apparence". Macron en prétendant aller au-delà du bipartisme a en fait été un révélateur. Comme la solution utilisée en photographie qui révèle l'image latente: nous savons maintenant qui est réellement de gauche et de droite! Les masques sont tombés.
Nous n'assistons pas actuellement à une simple crise politique. Vient de poindre à l'orée salvatrice d'un basculement nécessaire, une crise de régime. La Vème République est en train d'agoniser en même temps que ce qu'elle a enfanté de pire: le macronisme. Une mort lente et à bien des égards interminable. L'usurpation, pour ne pas dire l'imposture de la Start-Up Nation est en train de prendre fin. Dans un spectacle aux relents cannibales, nous assistons à l'équarrissage public d'un "Jupiter" cloitré dans sa solitude, par d'anciens membres de sa garde rapprochée en les personnes de Gabriel Attal et Edouard Philippe. A croire que l' "Horizon" de "Renaissance" est exempt de reconnaissance. Tout cela me fait penser en quelque sorte à la gestation ovovivipare des requins, qui éclosent dans le ventre maternel et commencent une bataille fratricide, sous la férule de la sélection naturelle. Les places sont bonnes et elle valent chères.
Le reste du paysage politique lui aussi est en dessous de tout. Les socialistes et les écologistes continuent de s'avilir à répondre aux invitations "à discuter" avec le Premier Ministre au gouvernement le plus éphémère de la Vème, soit 13 heures et 56 min. Ne pensez pas qu'ils espèrent quoique ce soit, ils s'humilient dans le seul but de montrer au système qu'ils restent des "partis de gouvernement", autrement dit, qu'ils ne changeront rien en étant aux responsabilités. Sans pour autant se rendre compte que cette mise en scène du pouvoir macroniste n'a pour but que de fracturer davantage la gauche. Les communistes sont inaudibles et inexistants depuis des années mais encore plus depuis qu'ils se sont lancés cet été dans des cours de cuisine en camping, après s'être spécialisés dans le barbecue et la charcuterie. On en regretterait presque Georges Marchais! Seule la France Insoumise fait de la politique au sens noble du terme: connaissance des dossiers, rhétorique efficace, propositions de sorties de crises (constituante, Vème République etc...), utilisation des leviers institutionnels (censures, motion de destitution du Président de la République). Mais tout cela n'est pas dénué de critiques.
Même s'ils mettent en exergue des reproches fondés et des ouvertures sur l'avenir, tout cela reste nébuleux. Le mouvement Insoumis doit mettre fin à ces coalitions de pacotille avec des partis qui n'ont de gauche que l'étiquette et qui ont la trahison dans leurs gênes. Ces combinaisons politiciennes et contre nature, sont l'essence même du dégoût que ressentent les français. Avec pour effet direct de détourner la population de la chose politique. L'essentielle de l'abstention vient de là! L'arrivée de l'Extrême Droite au pouvoir et bien souvent consubstantielle à l'agonie d'un régime. Une fois l'union des droites aux responsabilités, la Gauche Radicale apparaitra comme la seule alternative possible et viable. Préparons nous, non plus à les empêcher d'accéder à l'Elysée mais préparons déjà l'alternance qui sera elle aussi, inéluctable. Au demeurant, LFI a abandonné presque toutes critiques de l'Union Européenne. Quand est-il du Plan A (on négocie et on reste), Plan B (on sort des traités)? Le débat sur l'UE est inévitable. Il va falloir faire avec la réalité, c'est-à-dire qu'elle est en même temps un remède (vu l'état de désindustrialisation de la France la monnaie unique nous sauve. Une dévaluation d'un Franc nous aurait condamné économiquement) mais dans un même temps elle est un poison (concurrence déloyale au sein de la zone Euro, mort de notre agriculture avec le Mercosur, politique ordolibérale favorable à l'économie allemande etc...).
Pareil en ce qui concerne "le marché de l'emploi". L'emploi, n'étant pas "le travail" que proposons nous pour mettre un arrêt à ce marché de l'offre, qui crée du chômage de masse en raréfiant l'emploi dans le seul but de baisser les salaires? Quid de l'immigration de travail favorisée par le Capital pour déprécier les salaires sur les postes les plus pénibles alors que le nombre de chômeurs n'a jamais été aussi élevé?(6.3 millions de demandeurs d'emploi toutes catégories 2ème trimestre 2025 - Chiffre France Travail) Quand est-il du revenu d'existence à la qualification? Que proposons nous face à ce qui est sans doute le plus grand défi pour repolitiser les citoyens et les remobiliser dans les processus de décision: la réappropriation du temps! Ce temps perdu dans " l'Emploi "et les "bullshit jobs" (littéralement "boulots à la con") comme les appelait l'anthropologue David Graeber. Ce temps perdu dans le divertissement numérique, comme la saturation des esprits par la multiplicité de l'information (souvent contradictoire) et en continue, qui court-circuite les capacités d'attention indispensables non seulement à l'empathie, mais aussi à la faculté d'apprendre et de comprendre. Ce manque d'empathie qui se traduit par exemple dans une quasi inaction du monde face à l'horreur quotidienne du premier génocide de l'histoire filmé en direct. A notre capabilité de "sublimer", comme le théorisait Freud, nos pulsions en désirs. Désir d'aimer, de partager, d'apprendre, de comprendre, de participer, de penser... pour panser. Ne plus être dans ce dictat de la réaction intempestive, qui contraint bien souvent à surréagir, mais être dans l'action, dans le sens que lui donnait Spinoza en ce qu'il appelait "Conatus", qui ne prend plus le désir uniquement comme manque (approche socratique), mais comme puissance d'agir.
Réenchanter l'avenir dans ce qui ne parait être que devenir. Faire rêver de nouveau. C'est à ça que la Gauche doit s'atteler.
En face, le mot d'ordre est au ralliement! L'union des droites est en train de se constituer autour du Rassemblent National. Cela s'avère être l'épisode eschatologique d'une Vème à bout de souffle. Hormis LFI aucun parti n'est officiellement pour la destitution du Président Macron. Pour la bonne et simple raison, qu'ils espèrent tous accéder à l'Elysée et qu'ils anticipent les éventuelles futures demandes de démission une fois installés à la tête du pays. Mieux vaut prévenir que guérir. Dans tous les cas, ils souhaitent faire perdurer la mythologie présidentielle pour continuer à faire de cette élection, l'Alpha et l'Omega de la politique française. Et la nouvelle figure de proue pour ce concours d'incarnation n'est autre que Marine Le Pen. Sur tous les bancs de la droite qu'elle ne fût pas l'indignation générale quand "Marine" comme ils l'appellent (ça fait peuple alors que son vrai prénom est Marion Anne Perrine) fût condamnée à une peine d'inéligibilité dans l'affaire des assistants parlementaires européens. Voyant leur figure de proue disqualifiée et ne pouvant compter sur l'indigence et la médiocrité d'un Bardella qui n'est qu'une coquille vide, le seul espoir est le procès en appel en mars 2026 qui verrait cette impossibilité à se présenter, levée par la Justice. Affaire à suivre...
En tout état de cause, cette droite à d'ores et déjà une ambition bien précise en ce qui concerne la Vème République: la perfuser quoi qu'il advienne pour qu'elle perdure. Car pour leur électorat, quoi de mieux que la figure de "L'Elu", du Messie qui viendrait nourrir leur frénésie d'appétences réactionnaires. Notre république actuelle est avant tout une république partidaire. Ces parties garantissent non seulement des organisations puissantes qui permettent la corruption à grande échelle, assurent à leurs cadres et membres d'accéder et/ou de conserver des postes importants et comme nous le constatons de plus en plus souvent depuis quelques décennies, de pantoufler allègrement, ce qui consiste à faire des aller/retour entre privé et public, avec tout ce que cela suscite de conflits d'intérêts et de trahisons envers l'Etat et ses institutions. Cette république des partis a pour but, également, d'offrir une pluralité en trompe l'œil. En effet, la diversification des propositions politiques à travers différentes appellations (RN, LR, PS, UDI, MoDem etc...) peut faire penser que chacun propose un programme singulier alors que si nous regardons dans le détail, des Ecologistes et du PS en passant par la droite, le centre, jusqu'au RN et au delà, les propositions économiques et le cadre capitaliste néolibéral est essentiellement le même. Tout est fait pour l'immobilisme. Dans son livre "Il faut s'adapter", Barbara Stiegler explique parfaitement les origines du néolibéralisme inventé par Walter Lippmann dans les années 20-30, basé sur un darwinisme social, c'est à dire la mise en place d'un système timocratique, dans lequel élites et spécialistes, sont les seuls aptes à prendre des décisions pour des peuples jugés incultes et soi-disant incapables génétiquement de se gouverner eux-mêmes. La centralisation des pouvoirs entre les mains d'un petit groupe est "démocratide". Voilà le mal dont il faut guérir.
Tout cela donne l'impression d'un peuple, en réalité privé de politique. Privé de débat et par prolongement privé d'avenir. Ce spectacle navrant, n'est pas à la hauteur du moment et des enjeux vitaux auxquels l'humanité est confrontée à cause du dérèglement climatique et de ses effets. Hier soir, voyant Marine Tondellier toute chose de se faire adouber par un macroniste qui la qualifiait de "gauche responsable", je me dis qu'il était vraiment l'heure de sortir de cette mascarade qui nous mène droit dans le mur. Pour vaincre une Extrême Droite réactionnaire, il ne faut certainement pas une gauche de compromission. Non, face à l'Extrême Droite française et même à l'Internationale Fasciste que nous observons en les personnes de Trump, Meloni, Poutine ou Milei, il faut une Gauche Radicale qui assume ses valeurs humanistes, écologistes et sociales. Une Gauche de l'honnêteté intellectuelle, qui ne se commet pas avec des alliances contre nature, qui n'a pas honte de ce qu'elle est et de ce qu'elle défend. Une Gauche qui traite de tous les sujets, même de ceux accaparés par la droite fascisante et qui servent d'Opium, d'anesthésiant à la masse. Ce genre de facilités empêchent de penser et ne sont là que pour exacerber les pulsions, diviser pour mieux régner et instiller le goût du sang à des simples d'esprits, qui se trompent de colères et puisent en tant d'intolérance, la possibilité d'imputer à l'autre le propre dégoût qu'ils ont d'eux-mêmes.
J'évoquais auparavant le fait de se réapproprier la temporalité. Au milieu du IIème siècle avant l'an 0, apparut le concept d'Otium. Ce terme qui recouvre différentes formes touche au champs du temps libre, dans ce qu'il a de loisir mais aussi et surtout de retraite, de spiritualité. C'est un temps,
sporadique ou prolongé, de loisir personnel aux implications intellectuelles,
vertueuses ou morales avec l'idée d'éloignement du quotidien, de manière solitaire, mais qui a pour "Télos" (pour but) une finalité sociale car il enclin à s'individuer (se renforcer intellectuellement) pour ensuite s'individuer collectivement (l'intelligence se disant "Noũs" en grec ancien). L'heure est venue de suppléer l'Opium du Peuple par l'Otium du Peuple. Attelons nous !
L'E.C.H.Φrruptible©
φ, le 7 Octobre 2025.
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